La négation du pluralisme

Réaction de PEPS-économie au livre de P. Cahuc et A. Zylberberg

Début septembre sortait le livre « Le négationnisme économique », avec le sous-titre « et comment s’en débarrasser », de Pierre Cahuc et André Zylberberg, deux chercheurs français connus pour leurs travaux en économie du travail. Un mois et demi après, PEPS-économie revient sur le débat suscité par le livre et les leçons à en tirer.

Derrière cette entreprise de “vérité” sur ce que doit être la science économique, mot d’ordre des auteurs, se trouve en réalité une véritable entreprise de diffamation et d’obscurantisme à l’encontre du pluralisme sous couvert de la légitimité scientifique autoréférentielle de Messieurs Cahuc et Zylberberg ou de leurs soutiens (cf. remerciements à la fin de leur ouvrage). Alors que cet ouvrage a soi-disant pour but d’informer les citoyens que des économistes empêchent à la vérité d’émerger. Or, parler de « la » vérité en tant que telle qui ne serait atteignable que par une seule méthode, c’est se méprendre sur toute conception scientifique et pluraliste. Ainsi avec une seule méthode, celle de l’expérience aléatoire, un seul cadre théorique, celui du courant néoclassique, et l’interdiction de réfléchir à la manière de faire de l’économie et de débattre, sous peine d’être traités de négationnistes, nous sommes bien loin des trois pluralismes (méthodologique, théorique et réflexif) que nous défendons.

Face à cela PEPS-économie n’a, dans un premier temps, pas souhaité réagir, car autant dire qu’à la découverte de ce pamphlet et de son indigence intellectuelle, nous avons voulu lui donner le crédit qu’il mérite, c’est-à-dire aucun. D’autant plus que nous avons estimé qu’il n’était pas dans le rôle de notre association étudiante de commenter l’organisation de la profession ou la scientificité de la science économique. Nous avons déjà suffisamment de choses à faire pour ne pas perdre notre temps à commenter les élucubrations délirantes de deux économistes en manque de notoriété. Tels étaient nos sentiments.

Bien nous en a pris au regard de toutes les critiques en faveur de la défense du pluralisme que ce pamphlet a suscitées tant de la part des économistes et médias “hétérodoxes” que des “orthodoxes”. Sur le caractère malhonnête du livre et le débat général dans lequel il s’inscrit, on trouvera évidemment la chronique du président de l’AFEP André Orléan ou de Christian Chavagneux pour Alternatives Economiques. Ces premières réactions seront suivies par celles d’économistes non directement mis en cause, comme Xavier Ragot (président de l’OFCE), Pierre-Yves Geoffard président de la Paris School of Economics, de Stéphane Ménia (blog éconoclaste), de Philippe Aghion, Jean-Hervé Lorenzi, ou Pierre-Noël Giraud. Sur le plan technique relatif aux expériences en économie, on se réfèrera à l’article d’Arthur Jatteau, ancien membre de PEPS-économie et faisant sa thèse sur le sujet, ou aux propos d’Angus Deaton, prix 2015 d’économie de la banque Suède en l’honneur d’Alfred Nobel. Pour ce qui concerne la neutralité du chercheur, on appréciera le billet de blog du doyen de la faculté d’économie de Poitiers, Olivier Bouba-Olga, par ailleurs partisan habituel du pluralisme méthodologique. Du côté des journalistes, l’appel à ne plus inviter des “négationnistes” à provoquer une pétition de la majorité de la presse. Les “instrumentalisés” professeurs de SES ont eux aussi réagi à cette attaque.

Nous, étudiants, refusons d’étudier et d’évoluer professionnellement dans un climat violent et stérile. Cela fait plus de cinq ans que nous nous mobilisons avec des élèves, associations, enseignants de tous bords, syndicats et organisations patronales malgré les difficultés institutionnelles pour faire vivre le pluralisme dans sa version la plus large et dans tous ses aspects : méthodologique, théorique et réflexif à travers la proposition d’une nouvelle maquette de licence, le développement de formations ou d’instances de réflexion sur l’enseignement de l’économie dans le supérieur.

Le pluralisme dans l’enseignement sous tous ces aspects n’est ni une lubie pédagogique, ni une affaire de querelles théoriques entre chercheurs en économie. Il est avant tout la condition indispensable au développement d’un raisonnement et d’un discours critiques des étudiants, citoyens à part entière, sur le monde d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Au sujet du pluralisme et de l’enseignement, notons d’ailleurs la rassurante chronique dans le journal La Tribune de Céline Soulas et de Christine Sinapi, professeurs au Groupe ESC Dijon-Bourgogne, discours dont on aimerait la généralisation.

Ce pamphlet aura donc eu au moins un premier mérite, celui de relancer le débat sur le pluralisme. Son deuxième mérite est d’avoir fait sortir de leur discrétion habituelle, une partie, toujours trop faible, de ceux qui ne le défendent publiquement que trop peu souvent. Si la dynamique et les institutions restent identiques, cela risque d’entériner définitivement, faute d’autre possibilité, la scission du monde académique en cours, et ce potentiellement au détriment exclusif des étudiants alors même que l’enseignement supérieur dans sa totalité est en proie à d’importantes difficultés. En effet, ce n’est pas uniquement lorsque l’obscurantisme émerge au grand jour que l’on doit se battre, mais au quotidien avec toutes les bonnes et sincères volontés. Une prise de parole momentanée ne résoudra pas les profondes crises de l’enseignement en économie dans le supérieur. C’est pourquoi PEPS-économie appelle l’ensemble des enseignants, journalistes, professionnels et surtout des étudiants à se mobiliser et à nous rejoindre dès maintenant pour défendre le pluralisme et l’esprit critique dans l’enseignement supérieur en économie !

Sur le livre

Ce livre a pour objectif principal de montrer au “grand public” comment de “faux savants” participent à la désinformation des citoyens et des politiques en défendant des théories qui iraient contre une série de vérités démontrées scientifiquement par les chercheurs en économie grâce à la méthode dite expérimentale venant de la médecine et des sciences “dures”. Seraient ainsi des vérités scientifiques, l’inefficacité des 35h sur la création d’emplois, l’impact négatif du salaire minimum en France ou encore l’inutilité des politiques de mixité sociale à partir de l’âge de 13 ans (âge limite cité par les auteurs, on s’interrogera sur cet effet de seuil). Pourtant ces thèmes font l’objet de nombreuses discussions tant chez les politiques que chez les économistes et autres médias décriés par nos deux auteurs : économistes de l’AFEP et des atterrés, Alternatives économiques ou encore à titre individuel Gaël Giraud et Steve Keen. Remarquons que ces questions font aussi l’objet de nombreux débats chez les économistes dits “orthodoxes” qui bien que n’étant pas nommés explicitement dans le livre, se retrouvent, si l’on suit nos deux auteurs, logés à la même enseigne du négationnisme et de la fausse science que les hétérodoxes, puisqu’eux-mêmes, comme l’écrasante majorité des économistes, n’utilisent pas ou que très peu la méthode expérimentale dans leurs travaux. Alors que nos deux auteurs revendiquent le fait que le consensus est le meilleur moyen de connaître la scientificité d’une théorie. Leur argument se retourne contre eux…

Après un passage par le point Godwin avec l’usage bien choisi du terme de “négationnisme” et une référence à l’Union soviétique, car les économistes hétérodoxes visés sont majoritairement classés à gauche, les auteurs se livrent ainsi à un (long) laïus présentant ces fameuses études expérimentales. Puis il se termine par un retour au point Godwin, en nous offrant des solutions sur comment se débarrasser de ces fameux négationnistes. A l’occasion, les professeurs de SES sont considérés comme étant instrumentalisés et tout le grand patronat industriel (Louis Gallois et Jean-Louis Beffa notamment) comme des pseudo-experts naufrageurs. Quant aux journalistes économiques, ils sont accusés de faire la part belle aux négationnistes en n’invitant pas de “vrais” scientifiques. Autrement dit, si vous n’êtes pas un économiste qui pratique l’économie expérimentale et qui publie dans certaines revues académiques, vous n’avez pas voix au chapitre. Pour le débat citoyen et politique des décisions économiques, on repassera !

Diverses réactions

Revue de presse AFEP
http://assoeconomiepolitique.org/florilege-autours-des-deb…/

Interview d’André Orléan dans Marianne
http://www.marianne.net/andre-orlean-evoquer-negationnisme-…

Article sur Walras de Christian Chavagneux dans AlterEco+
http://www.alterecoplus.fr/…/walras-le-negationnis…/00012168

Arrêt sur images
http://www.arretsurimages.net/…/Economistes-un-negationnist…

Les echos, cinq économistes
http://www.lesechos.fr/…/0211273995035-la-science-economiqu…

Jean-Marc Vittori
http://www.lesechos.fr/…/0211278860019-une-science-economiq…

Tribune Politis
http://www.politis.fr/…/negationnisme-economique-la-repons…/

Les echos
http://www.lesechos.fr/…/0211323122801-finance-les-approxim…

Enseigner le pluralisme (ESC)
http://www.latribune.fr/…/enseigner-le-pluralisme-en-econom…

Olivier Bouba Olga
http://blogs.univ-poitiers.fr/…/petites-reflexions-sur-la-…/

Jean-Marie Harribey
http://leseconomistesatterres.blogs.liberation.fr/…/lecono…/

Econoclaste
http://econoclaste.org.free.fr/econoclaste/…

Dossier du Centre de Sociologie des Organisations
http://www.cso.edu/dossier.asp?do_id=32

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http://www.alternatives-economiques.fr/vous-aussi–soutenez…

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